Sujet: Les mémoires de la Reine Alina Azyrith Ven 10 Déc - 21:35
Mémoires d'Alina Azyrith
La première fois que je l'ai croisé, il n'était qu'un inconnu parmi d'autres, un artiste sans le sous mais au grand talent. Sur les berges du lac de Balassy, en quête d'un rêve, d'une légende pour sauver mon peuple de la tyrannie de mon frère Dan. Alors accompagnée d'une escorte qui se composa au fil de mon périple, par un heureux hasard, je fus entourée de deux chevaliers dont je ne savais rien et qui pourtant avaient quelque chose d'étonnant et d'intrigant. Amis de chemin, ils partagèrent leur vivres et leur bonne humeur me protégeant des dangers dont je n'avais pas conscience, fille de la royauté, je ne savais me battre contre cela.
Nous étions postés sur la berge pour attendre le passeur qui nous mènerait à cette île secrète, je ne l'avais pas vu, il fit de mon portrait son art, sans en demander la permission. Libre d'esprit et de corps cette homme n'avait que faire des lois de ce monde, me capturant à lui sans que j'en ai réellement conscience, ou peut-être l'avais-je vu du coin de l'œil? L'avais-je laissé faire? Est-ce que je le voulais? Et si finalement c'était moi qui l'avais capturé? Du moins son regard insistant m'avait fait rougir mais à cette époque là, le conformisme m'obsédait encore...
La vie d'une reine, d'un monarque est égalable à la course du soleil sur la terre, un moment adoré quand il revient après un long hiver, puis détesté lors des sécheresses. Le cheminement de mon existence continua bien au delà de cet instant volé au temps, de cette gravure sur le parchemin à l'encre, de la poésie du geste, de la créativité de l'artiste.
Ce fut plus tard seulement, plusieurs saisons s'imbriquant dans l'espace, que je le reconnu, simplement vêtu sur un marché, ses œuvres à ses pieds nus, ce regard là que je n'osais affronter de peur d'y découvrir des secrets jusqu'alors non révélés en moi. J'étais de sortie, comme j'aimais bien faire, une belle journée d'avril, chinant entre les étales pour y trouver des objets étranges et peu commun, des choses qu'on ne considérait pas de grande valeur au palais mais que j'appréciais regarder pour leur beauté. Et c'est là que j'ai vu mon reflet, sur une toile de papier, si réaliste, si délicate que j'en fus étonnée que ce soit moi. Étais-je cette femme aux allures si triste? Moi qui avais tout ce dont peu rêver une jeune femme de mon âge? Mais avais-je tout? Ne me manquait-il rien dans ma vie? Oh si, bien sur que si...
Je m'avançais un peu, savait-il qui j'étais? Il me regardait, bienveillant, un sourire aux lèvres, comme une caresse, il me salua poliment, n'attendant rien, ne quémandant pas de par mon statut de souveraine. Je lui avais sourie en retour et alors que mes prunelles croisèrent une nouvelle fois les siennes foncées, je m'étais sentie attirée comme dans un gouffre, préférant me concentrer sur le tableau qui me faisait face et lui en demander l'explication de sa création...
Était-il poète, rêveur, dessinateur? Peut-être un peu tout à la fois, du moins j'appréciais son contact, sa présence salvatrice pour mon âme si torturée d'une vie trop compliquée, superficielle. Je crois qu'au fil des années j'avais perdu l'essentiel de mon horizon, une promenade dans les collines, contempler la beauté de la nature environnante, respirer et l'écouter parler des lunes et des étoiles. Je n'avais pas conscience des quand dira t-on, puisque notre relation était cachée sans l'être, et il me semble que secrètement nous n'aspirions qu'à la faire éclater au grand jour.
Mais avant que je n'aille trop vite dans mon récit, je vais vous parler de lui, comme je l'ai vu et peut-être comme personne ne l'a vu. Loup solitaire en paix avec son âme et celle de ses sœurs, portant sur la terre notre mère un regard épuré de tous sentiments négatifs, cherchant des réponses à des questions muettes. Des moments intenses, des murmures d'un amour partagé mais non consommé. Il était tout mon contraire, ne vivant que par l'air qu'il inspirait et le présent de la vie, celui de naître et d'exister. Je ne prétendais pas tout savoir de lui, puisqu'il ne m'en avait jamais rien dit, juste une terrible souffrance qui me laissait imaginer la dureté de son périple en ce monde. Couleur de lait ma peau était, alors que la sienne marquée par des origines diverses reflétait celle du soleil qui aurait posé ses rayons chaud pour diversifier la nature de l'homme, les races. Mon aîné de plusieurs années, il avait un savoir et un vécu que je ne pouvais m'expliquer car il me restait tant à parcourir encore pour m'accomplir dans ma destinée.
Fils du vent comme il s'appelait lui même, je savais qu'un jour, il partirait, que ce ne pouvait être un homme à chérir pour l'éternité. Comme un rêve qui un beau matin s'évanouirait dans un souvenir agréable, dont seules quelques bribes persisteraient. Un oiseau à qui on ne peut se résoudre à briser les ailes, de peur qu'il ne vole plus jamais, alors que le contempler dans le ciel nous donne une raison de vivre.
Il vécu dans mon cœur, alors que personne n'en soupçonna jamais l'ombre d'une existence. Ne voyait-il pas combien je resplendissais quand je me perdais à penser à lui? Mes traits si fatigués, d'une bataille sans fin, devenant soudainement moins tirés? Un poids en moins dès que je me savais proche de lui...
Une histoire d'amour sans précédent ni lendemain, des promesses que je savais qu'il ne tiendrait pas mais auxquelles je voulais croire contre tout. En mon sein grandit mon premier enfant, alors qu'il n'avait pas de père officiel, je me retrouvais bientôt dans l'obligation de m'emprisonner dans une vie de raisonnement pour lui assurer un avenir. Fruit de la passion, à jamais, il représenterait ce que j'ai aimé dans un instant volé. Je voyais mon ventre s'arrondir de jour en jour alors que je le persuadais de rentrer dans mon univers pour y vivre ensemble...
Assise à mon secrétaire, j'attends les dernières heures de souffrance, de peine, la maladie m'emportera tout comme le vent l'a éloigné de moi. Maladie? Peut-on parler ainsi de la peine qui me ronge? Alors que mon mari officiel a rejoint nos ancêtres, il y a de cela quelques années, je veille encore sur mes enfants, les perles d'un amour qui durera toujours, au delà du temps, de la chair et de l'existence. Son sang coule dans leurs veines, Erwan est fort et fier, il se bat pour des causes nobles et justes, défend son peuple au péril de sa vie, roi en place, il a tous les traits de son père, je retrouve ses yeux ténébreux et si envoutant, son teint mâte et cette détermination si caractéristique. Alors qu'Eléanore, ma fille a hérité de moi, la peau laiteuse, les yeux clairs, elle sait s'émerveiller de ce que le monde lui offre. Et pourtant, en elle je vois aussi l'art de son géniteur et j'en suis fière.
Il n'a su perduré derrière les murs imposants de ma citadelle, se faire à cette vie protocolaire qui fut la mienne, se manque de liberté qui le rappela bien vite. M'offrant un peu de lui dans chacun de mes enfants.
Je me sens lasse et fatiguée, je pense que je vais aller m'allonger un peu, dormir en me rappelant ses heures de bonheur, en me souvenant de lui... Touri.
Les cloches retentirent dans le lointain, une âme s'éteignit en ce beau matin, alors que la lumière du céleste balayait la plaine de ses rayons, la reine Alina Azyrith n'est plus.